Page:Milton - Le Paradis perdu, trad. de Chateaubriand, Renault et Cie, 1861.djvu/246

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ballotté haut et bas comme dans une mer houleuse, ils le chassent ensemble amassé, et de chaque côté l’échouent vers la bouche du Tartare : ainsi deux vents polaires soufflant opposés, sur la mer Cronienne, poussent ensemble des montagnes de glaces qui obstruent le passage présumé au-delà de Petzora à l’orient, vers la côte opulente du Cathai.

La Mort, de sa massue pétrifiante, froide et sèche, frappe comme d’un trident la matière agglomérée, la fixe aussi ferme que Délos, jadis flottante ; le reste fut enchaîné immobile par l’inflexibilité de son regard de Gorgone.

Les deux fantômes cimentèrent avec un bitume asphaltique le rivage ramassé, large comme les portes de l’enfer et profond comme ses racines. Le môle immense, courbé en avant, forma une arche élevée sur l’écumant abîme, pont d’une longueur prodigieuse, atteignant à la muraille inébranlable de ce monde, à présent sans défense, confisqué au profit de la Mort : de là un chemin large, doux, commode, uni, descendit à l’enfer. Tel, si les petites choses peuvent être comparées aux grandes, Xerxès, parti de son grand palais memnonien, vint de Suze jusqu’à la mer pour enchaîner la liberté de la Grèce ; il se fit, par un pont, un chemin sur l’Hellespont, joignit l’Europe à l’Asie et frappa de verges les flots indignés.

La Mort et le Péché, par un art merveilleux, avaient maintenant poussé leur ouvrage (chaîne de rochers suspendus sur l’abîme tourmenté, en suivant la trace de Satan) jusqu’à la place même où Satan ploya ses ailes, et s’abattit, au sortir du chaos, sur l’aride surface de ce monde sphérique. Ils affermirent le tout avec des clous et des chaînes de diamant : trop ferme ils le firent et trop durable ! Alors, dans un petit espace, ils rencontrèrent les confins du ciel empyrée et de ce monde ; sur la gauche était l’enfer avec un long gouffre interposé. Trois différents chemins en vue conduisaient à chacune de ces trois demeures. Et maintenant les monstres prirent le chemin de la terre qu’ils avaient aperçue, se dirigeant vers Éden : quand voici Satan, sous la forme d’un ange de lumière, gouvernant sur son