Page:Milton - Le Paradis perdu, trad. de Chateaubriand, Renault et Cie, 1861.djvu/247

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zénith entre le Centaure et le Scorpion, pendant que le soleil se levait dans le Bélier. Il s’avançait déguisé ; mais ceux-ci, ses chers enfants, reconnurent vite leur père, bien que travesti.

Satan, après avoir séduit Ève, s’était jeté non remarqué dans le bois voisin, et changeant de forme pour observer la suite de l’événement, il vit son action criminelle répétée par Ève, quoique sans méchante intention, auprès de son mari ; il vit leur honte chercher des voiles inutiles ; mais quand il vit descendre le Fils de Dieu pour les juger, frappé de terreur, il fuit ; non qu’il espérât échapper, mais il évitait le présent, craignant, coupable qu’il était, ce que la colère du Fils lui pouvait soudain infliger. Cela passé, il revint de nuit, et écoutant, au lieu où les deux infortunés étaient assis, leur triste discours et leur diverse plainte, il en recueillit son propre arrêt ; il comprit que l’exécution de cet arrêt n’était pas immédiate, mais pour un temps à venir : chargé de joie et de nouvelle, il retourna alors à l’enfer. Sur les bords du chaos, près du pied de ce nouveau pont merveilleux, il rencontra inespérément ceux qui venaient pour le rencontrer, ses chers rejetons. L’allégresse fut grande à leur jonction ; la vue du pont prodigieux accrut la joie de Satan. Il demeura longtemps en admiration, jusqu’à ce que le Péché, sa fille enchanteresse, rompît ainsi le silence :

« Ô mon père, ce sont là tes magnifiques ouvrages, tes trophées que tu contemples comme n’étant pas les tiens ; tu en es l’auteur et le premier architecte. Car je n’eus pas plus tôt deviné dans mon cœur (mon cœur qui par une secrète harmonie bat avec le tien, uni dans une douce intimité) ; je n’eus pas plus tôt deviné que tu avais prospéré sur la terre, ce que tes regards manifestent à présent, que je me sentis (quoique séparée de toi par des mondes) attirée vers toi avec celui-ci, ton fils ; tant une fatale conséquence nous unit tous trois ! Ni l’enfer ne peut nous retenir plus longtemps dans ses limites, ni ce gouffre obscur et impraticable nous empêcher de suivre ton illustre trace. Tu as achevé notre liberté : confinés jusqu’à présent au-dedans des portes de l’enfer, tu nous as donné la