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EROTIKA BIBLION

loi, mais il en est toujours le garant ; et que de moyens n’a-t-il pas pour la faire aimer ! Le talent de régner n’est donc pas infiniment difficile à acquérir ; car il ne consiste qu’en cela. J’entends bien qu’il est encore plus aisé de faire trembler tout le monde quand on a la force en main, mais il est très-facile aussi de gagner les cœurs ; car le peuple a appris depuis bien longtemps de tenir grand compte à ses chefs de tout le mal qu’ils ne lui font point, à les adorer quand il n’en est pas haï.

Quoi qu’il en soit, un imbécile obéi peut, comme un autre, punir les forfaits ; le véritable homme d’État sait les prévenir. C’est sur les volontés plus que sur les actions qu’il cherche à étendre son empire. S’il pouvait obtenir que tout le monde fît bien, que lui resterait-il à faire ? Le chef-d’œuvre de ses travaux serait de parvenir à rester oisif.

C’est donc une grande maladresse que la jactance et l’abus du pouvoir ; le comble de l’art est de le déguiser (car tout pouvoir est désagréable à l’homme), et surtout de ne pas savoir seulement employer les hommes tels qu’ils sont ; mais de parvenir à les rendre tels qu’on a besoin qu’ils soient. Cela est très-possible ; car les hommes sont à la longue tels que le gouvernement les fait ; guerriers, citoyens, esclaves, il modèle tout à son gré ; et quand j’entends un homme d’État dire : Je méprise cette nation, je lève les épaules en moi-même : et toi, je te méprise de n’avoir pas su la rendre estimable.

C’est là le grand art des anciens, qui paraissent nous avoir été aussi supérieurs dans les sciences morales, que nous l’emportons sur eux dans les sciences physiques. Tout leur but était de diriger les mœurs, de former des caractères, d’obtenir de l’homme que, pour