Page:Mirbeau - Dans la luzerne, paru dans l’Écho de Paris, 29 septembre 1891.djvu/3

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Le propriétaire.

Huit ! c’est huit… Et de râles, combien ?

Le domestique

Je ne sais plus… Des masses ! des masses !… Je me rappelle que j’ai dit à monsieur : « Si monsieur tue encore du gibier, monsieur le rapportera lui-même, parce que j’en ai plus que ma charge !

Le propriétaire (bon enfant)

C’est exact, ma foi !… Et tout cela dans ma luzerne ! C’est une luzerne excellente, une luzerne incroyable !

L’invité

Vous êtes un fusil de premier ordre.

Le propriétaire (modestement)

Je ne tire pas mal… Sans doute, je tire assez bien… Oui… Mais encore faut-il qu’il y ait du gibier… Et il y a toujours du gibier dans ma luzerne ! Je ne sais pas pourquoi tout le gibier de la plaine aime à se réfugier dans ma luzerne… Tenez, l’année dernière, dans ma luzerne… Voyons, est-ce l’année dernière ?… (Au domestique.) Est-ce l’année dernière ?

Le domestique

Oui, monsieur, c’était l’année dernière.

Le propriétaire

Parfaitement… L’année dernière il m’est arrivé une chose extraordinaire… Figurez-vous que… (Sifflant le chien qui vagabonde dans la luzerne)… psst… psst… Allons, Diane, ici, Diane !… ah ! la mâtine !… Diane, veux-tu venir ici !… (Diane bondit, vire-volte, paraît au-dessus des fanes, disparaît dans l’épaisseur mouvante des fanes)… Je crois qu’elle rencontre… Attention… Doucement, Diane !… Allons, Diane, sagement, sagement !… (À l’invité.) C’est une chienne précieuse…