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Page:Mirbeau - Eugène Carrière, paru dans l’Écho de Paris, 28 avril 1891.djvu/8

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comme aussi, il a le sens des contacts chastes, des saints baisers, des étreintes intimes où l’âme de la mère se fond dans l’âme de l’enfant, et des déformations admirables par où passent les lèvres, les joues, les regards, sous la rage inassouvie des tendresses !

Il y a dans l’œuvre de Carrière, qui est une œuvre de bonté consciente et de pitié réfléchie, il y a comme une enveloppe de fatalité, qui la rend singulièrement poignante. Entre notre regard et ces admirables, ces saintes figures de mères, s’étend, pour ainsi dire, une atmosphère d’angoisse. Pour arriver jusqu’à elles, il faut traverser de la souffrance. La joie qui sourit à la bouche muette des petits enfants, les étreintes et les caresses maternelles, gardent je ne sais quelle anxiété, je ne sais quel effroi, je ne sais quelle appréhension de l’avenir. L’effet en est puissamment tragique, et l’amour y atteint le dernier mot de son expression humaine. Chez l’être qui aime vraiment, l’idée de l’amour s’accompagne toujours de l’idée de la mort. Et la mort plane dans presque toutes les conceptions de Carrière, invisible et terrifiante, comme dans l’Impure, de Maurice Maeterlinck. On en perçoit les insensibles frôlements autour des têtes blondes, on