Page:Mirbeau - L’Abbé Jules, éd. 22, Ollendorff.djvu/114

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— Je ne sais pas, moi !… Trois… quatre… cinq millions ! Cela dépend.

— Cinq millions ! fit le moine, en se levant… C’est bien, je les trouverai.

Et le Père Pamphile s’en alla quêter.

Il alla de village en village, de ferme en ferme, de château en château, de porte en porte, tendant la main, courbant le dos, mangeant, sur les routes, le pain de deux sous auquel il avait réduit sa nourriture, et, le soir, lorsqu’il était trop éloigné du Réno, demandant asile aux presbytères qui l’accueillaient, parfois, avec méfiance. Il alla sous les soleils affolants, par les froids meurtriers, sans s’arrêter jamais, sans jamais se reposer, précédé de la lumineuse image qui semblait le conduire et le protéger. Mal reçu ici, insulté là, poursuivi dans les rues, par les gamins qui se moquaient de sa barbe sale, de sa robe blanche rapiécée de morceaux noirs, de sa douillette noire rapiécée de morceaux blancs, il connut toutes les amertumes, subit toutes les hontes de ce triste état de mendiant ; et, s’il souffrit, il ne se rebuta pas. D’abord gauche et timide, il ne tarda point à s’enhardir et, bientôt, avec une facilité qui étonnera chez une âme si loyale, si naïve, si complètement ignorante des malpropretés de la vie, il s’assimila les ruses du métier, au point que pas une de ses mille roueries, qui ne sont au fond que des abus de confiance déguisés, ne lui demeura étrangère. Il sut comment il faut faire pour spéculer sur la vanité et les mauvaises pas-