Page:Mirbeau - L’Abbé Jules, éd. 22, Ollendorff.djvu/122

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Il acceptait tout, retrouvant, lorsqu’il ne mendiait plus, sa candeur inconcevable de bonne dupe.

Et puis il repartait.

Successivement, il parcourut la France, l’Espagne, l’Italie, l’Autriche, l’Asie Mineure. Partout il s’entourait de relations puissantes, se créait des influences politiques et des protections mondaines, qu’il savait exploiter avec la plus surprenante adresse. Un jour, reçu dans le palais d’un cardinal romain, qui le chargeait d’une mission secrète ; un autre jour, roulant sur un paquebot, en compagnie d’une bande de comédiens nomades, avec lesquels il organisait, à bord, des représentations, dont il empochait la recette ; ou bien encore, capturé par des brigands qui le forcèrent à les accompagner au sac d’un couvent de religieuses, et le renvoyèrent, avec sa part de butin gagné ; tantôt reître, tantôt pitre, tantôt espion, tantôt missionnaire, et toujours mendiant, le Père Pamphile, pendant trente-cinq années, incarna le type de l’aventurier romantique, habile à toutes les métamorphoses, prêt à toutes les besognes, pourvu qu’elles fussent largement payées. À force de souplesse, d’avilissement, de courage et de folie, il écuma, sur les grandes routes de l’Europe, où traîna sa robe, l’invraisemblable somme de cinq cent mille francs.

De ces frottements salissants, de ses successives déchéances, de ces glissades de plus en plus rapides, dans la boue des métiers honteux, le moine ne gardait ni un remords, ni un dégoût, ni l’impression d’une