Page:Mirbeau - L’Abbé Jules, éd. 22, Ollendorff.djvu/126

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terrain détrempé par la pluie, gâché par les charrois, n’était qu’une mare de boue à la surface de laquelle nageaient des gravats, des débris de toute sorte ; après avoir passé sous un porche qu’étayaient des madriers pourrissants, l’abbé déboucha dans une cour immense, fermée par des bâtiments en quadrilatère, inégaux de hauteur, bizarrement déchiquetés sur le ciel, les uns éventrés et pareils à des éboulements de rocs, les autres tapissés de mousses, si couverts de végétations emmêlées et verdissantes, qu’on eût dit plutôt un coin de forêt sauvage. D’abord, il ne vit rien qu’un chaos de pierres de taille, de bois en grume, de poutres à peine équarries, d’outils épars, et au-dessus de ce chaos, l’armature commencée d’un échafaudage, deux grues, qui profilaient sur le fond crayeux de la cour, leurs longs cous de bête décharnée ; toute la détresse immobile et navrante d’un chantier abandonné en plein travail. Puis, il crut entendre un bruit sourd, comme le bruit d’une pioche creusant la terre. Guidé par le bruit, il aperçut à quelques mètres de l’échafaudage, dans un espace libre, de forme hexagonale, et fraîchement terrassé, il aperçut la pioche qui sortait du sol et qui y rentrait, par courts intervalles réguliers, sans qu’il lui fût possible de distinguer les bras qui la mouvaient. Il se dirigea vers cet endroit, se perdant dans le dédale des tas de moellons et des blocs de pierre, franchissant des lacs de chaux, enjambant des troncs d’arbre, et il finit par découvrir, au fond d’une tranchée, le Père Pamphile qui, les pieds dans l’eau, le