Page:Mirbeau - L’Abbé Jules, éd. 22, Ollendorff.djvu/137

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delà, comme une éternité de tortures et d’épouvantements…

L’abbé marchait lentement, le dos incliné sous le poids d’un invisible fardeau, le regard baissé vers le sol, où des flaques enfonçaient, en la reflétant, la changeante image des nuées ralenties. Le vent s’était calmé, la pluie n’était plus qu’une bruine légère qui allait se dissipant ; et, dans le ciel, éclairé d’une lumière plus blanche à l’horizon, les nuages déchirés laissaient apercevoir, de-ci, de-là, par d’étroits interstices, quelques morceaux de sombre azur. Peu à peu, la campagne, plus verte, sortait des brumes célestes qui noyaient les contours et les ondulations du terrain, sous une enveloppe de buée bleuissante ; et, sur le fond des coteaux, d’un violet sourd, réveillé par les taches claires des maisons éparses, les aulnes des prairies, et les peupliers haut ébranchés, montaient, semblables à de menues et tremblantes colonnes de fumée rose. Au sommet de la côte, d’où l’on voit brusquement la ville et ses trois clochers, l’abbé pressa le pas. C’était un samedi, et les cloches tintaient, se répondaient d’un clocher à l’autre, annonçant la venue du jour sacré. Elles avaient leurs voix de fêtes, leurs voix joyeuses, celles qui chantent le repos béni du travailleur, et le bourdon de la cathédrale, dominant de sa grosse voix les autres voix plus grêles, allait porter la bonne nouvelle, jusque dans les lointains de la vallée. À les écouter qui lui arrivaient assourdies par l’espace, et si douces, Jules éprouva une émotion dé-