Page:Mirbeau - L’Abbé Jules, éd. 22, Ollendorff.djvu/164

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comme une fosse de cimetière. Et il pensa qu’il ferait bon s’allonger là, se recouvrir de nuit et dormir. La pioche était piquée dans le sol, au bord du trou, la pioche, illusoire et grossier instrument des rêves du moine. Jules la souleva, la pesa, la regarda avec attendrissement. Le fer en était ébréché, le manche tordu, et pourtant elle lui parut plus resplendissante que l’épée des conquérants, cette misérable pioche qui, jamais, n’avait fouillé que des nuées… Et longtemps encore, il marcha, au milieu de cette désolation infinie, en proie à des rêves funèbres qui achevèrent de navrer son âme. Tout lui parlait de la mort. Il la voyait s’accroupir derrière chaque bloc de pierres, s’embusquer derrière chaque crevasse, plonger dans l’ombre des fenêtres, béantes ainsi que des abîmes ; et sur les vieux murs, encore debout, les lichens et les mousses dessinaient sa forme d’effrayant squelette. Pour échapper à l’obsession, il évoquait la barbe du trinitaire, ses yeux si terriblement beaux, quand il s’écriait : « Je la bâtirai ! », si doucement naïfs, quand il contait l’histoire de la Marseillaise.

— La Marseillaise ! se disait Jules, avec pitié… Pauvre vieux bonhomme !

Il regrettait qu’il ne fût point là, en cette si mélancolique journée. Assis à côté de lui, il eût partagé son pain noir, écouté ses enthousiasmes, et cela lui eût fait du bien !… Mais le vieillard rôdait sur quelque route lointaine, sans doute, à la poursuite de sa chimère.

Comme il se sentait la tête lourde, l’estomac brisé,