Page:Mirbeau - L’Abbé Jules, éd. 22, Ollendorff.djvu/167

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l’odeur de pourriture montait à chaque minute, plus suffocante. Mais l’abbé ne voyait pas les mouches aux piqûres mortelles ; il ne sentait plus l’infecte odeur. Pas un instant, il n’interrompit la funèbre besogne. Il arrachait parfois des lambeaux de peau écharnée qui s’agglutinaient aux éclats de bois, se poissaient aux morceaux de briques ; parfois, il retirait des bouts de draps sanguinolents, des poignées de barbe et des tronçons de muscles filamenteux et décomposés. Enfin ce qui avait été le Père Pamphile apparut ; restes horribles, où ne se reconnaissaient même plus la place des membres ni la forme du squelette, amas de chairs, d’os, d’étoffes broyés pêle-mêle, boue gluante de sanie jaune et de sang noirâtre, boue mouvante que des millions de vers gonflaient d’une monstrueuse vie. De la face écrasée, entre un quartier du crâne et la bosse d’une pommette, il ne demeurait d’intact que la ronde cavité de l’œil, dont la prunelle liquéfiée coulait en purulentes larmes.

Alors, Jules s’arrêta, indécis, la sueur au front. Cent mètres le séparaient du trou, près de l’église, du trou qu’il avait choisi pour inhumer le Père Pamphile. Il ne pouvait transporter dans ses bras ces restes mous et désagrégés ; son courage n’allait pas jusqu’à serrer contre sa poitrine ces immondes débris d’un homme. Il chercha une brouette, un panier, quelque chose qui l’aidât à véhiculer le cadavre vers la fosse ; n’en trouvant pas, il dénoua sa ceinture, l’enroula autour du corps, comme les bandelettes, une momie.