Page:Mirbeau - L’Abbé Jules, éd. 22, Ollendorff.djvu/168

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Ainsi maintenu, il se mit à le traîner doucement, évitant avec précaution les heurts trop durs, et les brusques ressauts sur les inégalités du terrain. Les mouches le poursuivaient de leur vol assourdissant ; et le sabot, au haut de la jambe raidie, vibrait.

La cérémonie ne fut pas longue, Jules descendit le cadavre dans la fosse qu’il combla de terre jusqu’au niveau du sol. Quand ce fut fini :

— Je te devais bien cela, dit-il, doux conquérant d’étoiles, naïf tisseur de fumées… Dors et rêve… maintenant le rêve est sans fin… aucun ne t’en réveillera… Tu es heureux.

Il prit la pioche, qu’il orna d’une couronne de ronces, et l’enfonçant par le manche, au milieu de la tombe, il la planta debout, comme une croix.

Puis il se laissa glisser à terre, presque défaillant.

Mais une révolte soudaine le fit bientôt se relever, la bouche crispée, le regard mauvais. Et tandis que son regard allait du carré de terre, au fond duquel gisait le Père Pamphile, à l’emplacement de l’église parsemé de ronces, et couvert de poussière, il songea :

— Ainsi, c’est donc ça, l’idéal ?… L’amour… le sacrifice… la souffrance… Dieu… tout ce vers quoi nous tendons les bras, tout ce vers quoi s’élancent nos âmes, c’est ça !… Un peu de poussière… de la boue… et des ronces ! Et c’est avec ça qu’on nous abrutit, dès la petite enfance, qu’on nous arrache à la vie de vérité qui est la haine et la lutte sans merci, qu’on nous fait la proie du rêve féroce et de l’insatiable