Page:Mirbeau - L’Abbé Jules, éd. 22, Ollendorff.djvu/214

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sous-sol, presque entièrement cachées par deux touffes énormes d’hortensias. Derrière, les jardins vastes étageaient leurs trois terrasses, bordées, chacune, d’une rangée de houx, taillés en cône, descendaient à une prairie, profonde comme le lit desséché d’un étang. Tout autour de la prairie, montaient, surélevés en coteau, des bois de hêtres, fermant le court horizon de verdures moutonnantes, et ne laissant, juste dans l’axe de la maison, qu’une fissure, par où se développaient, en éventail, des pays lointains, vaporeux et charmants. Les jardins, depuis longtemps incultes, étaient pleins d’oiseaux que l’homme n’effarouchait plus. L’herbe, les fleurs sauvages s’y multipliaient, libres, folles, ivres de leurs parfums, couvrant les plates-bandes de fantaisies édéniques, les vieux murs d’exquises décorations qui se mêlaient aux mosaïques délicates des pierres, aux broderies balancées des vignes ; reliés, l’un à l’autre, par des guirlandes de volubilis silvestres, les arbres fruitiers, autrefois déformés par le sécateur, étendaient sans crainte leurs branches noueuses, couleur de bronze, chargées de ramilles nouvelles, toutes roses, où nichaient les oiseaux. Et une paix était en ce lieu, si grande, qu’on eût dit que les siècles n’avaient point osé franchir la porte de ce paradis. Si près de l’homme et pourtant si loin de lui, on n’y sentait vivre que la nature divine, l’éternelle jeunesse, l’immémoriale beauté des choses que ne salit plus le regard humain. Dans un coin de ce silence, un cadran solaire marquait, de son mince trait d’ombre, la fuite ralentie des heures.