Page:Mirbeau - L’Abbé Jules, éd. 22, Ollendorff.djvu/215

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Pendant quelques jours, la pensée de mes parents ne quitta plus les Capucins, non pour en goûter le charme de poésie si austère, mais pour y suivre l’abbé. Un désir de curiosité s’était emparé d’eux ; ils voulaient savoir. Du matin à la nuit, je n’entendais que des exclamations, des questions, des suppositions. Que faisait-il ? que disait-il ? Pourquoi se cachait-il ? Ah ! il devait se passer aux Capucins des choses extraordinaires ! Est-ce qu’il n’aurait pas pu, comme tout le monde, habiter une maison de la ville, s’il n’avait pas eu des intentions inavouables ! Avec cette tendance qu’ont les honnêtes femmes de province à prêter d’inquiétantes apparences de péché à de simples habitudes, qui ne leur sont pas familières ; avec cette facilité de grossissement qu’elles mettent dans la représentation physique des vices, ma mère associait certainement à l’idée de Jules l’idée de débauches monstrueuses et confuses. Dans son émoi, elle s’oublia même jusqu’à dire en ma présence :

— Quand il aurait ramené une créature de Paris, cela ne m’étonnerait pas !

Mon père, lui, très impressionné par l’histoire de l’assassin Verger et des bombes Orsini, n’était pas loin de se figurer l’abbé, travaillant à de sombres attentats, et combinant des machines infernales, au milieu de poudres et de fulminates.

L’abbé disait sa messe, le matin, à sept heures. Trois petits coups de cloche ; quelques marmottements, le geste de bénir ; quelques génuflexions, le geste de