Page:Mirbeau - L’Abbé Jules, éd. 22, Ollendorff.djvu/218

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leçon, elle avait eu, dans ses yeux, cette expression dure, avide, ce regard métallique et froid qui me gênait, lorsqu’elle parlait avec Mme  Robin de questions d’argent.

Un peu tremblant, je suivis la berge de la route, regardant devant moi. Sous le soleil qui la frappait d’aplomb, la route était blanche, d’un blanc de crème, et les arbres, dont l’été décolorait les verdures empoussiérées, dentelaient, sur les bords, de courtes ombres bleues, criblées de gouttes de lumière. De chaque côté, entre les haies, les champs dévalaient jaunes et roussis. Je marchais lentement, hébété par la crainte et par la chaleur qui tombait du ciel, où un seul nuage errait, perdu dans l’immense azur, comme un gros oiseau rose. La route faisait de brusques courbes, disparaissait, réapparaissait. À mesure que j’avançais, les ombres s’allongeaient, s’effilaient, dessinant des mufles de bêtes étranges. Et, tout d’un coup, j’aperçus la terrible soutane, noire sur la blancheur éclatante, avec une petite ombre qui la suivait, et frétillait à ses pieds, semblable à un petit chien. Je m’arrêtai court, mon oncle s’en allait à pas menus, courbé, les omoplates creusées, les jointures raidies. Sa soutane, qui m’avait paru si noire, luisait dans le soleil autant qu’une cuirasse. Voyant qu’il ne se retournait pas, je me remis à marcher. Il obliqua vers la berge, se pencha sur le talus de la haie, cueillit une herbe, puis une autre, qu’il examina avec attention. Je profitai de ce moment pour accélérer le pas, et lorsque