Page:Mirbeau - L’Abbé Jules, éd. 22, Ollendorff.djvu/219

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je me trouvai en face de lui, séparé de toute la largeur de la route, je passai plus vite, en saluant. Mon oncle leva la tête, me regarda un instant, et rabaissant ses yeux sur une loupe qu’il tenait à la main, il continua d’examiner son brin d’herbe.

Le lendemain, je ne fus pas plus heureux. Le surlendemain, je le trouvai assis sur une borne kilométrique. Il m’attendait.

— Viens ici, petit, me dit-il d’une voix presque douce.

J’approchai, très ému. Il me considéra quelques secondes, avec pitié — du moins il me le sembla.

— Ce sont tes parents qui t’envoient, hein ?… Ne mens pas…

En même temps, il me menaçait de son index levé.

— Oui, mon oncle, balbutiai-je… Ma mère…

— Tu ne sais pas pourquoi elle t’envoie, ta mère ?

— Non, mon oncle, répondis-je, le cœur gros et prêt à pleurer.

— Je le sais, moi… C’est une honnête femme, ta mère… Ton père aussi est un honnête homme… Eh bien, ce sont tout de même de tristes canailles, petit… comme tous les honnêtes gens… On ne t’apprend pas cela, à l’école ?… On t’apprend le catéchisme, à l’école ? Tu vas à l’école ?

— C’est le curé qui me donne des leçons… sanglotai-je…

— Le curé ?… reprit mon oncle… C’est un honnête homme aussi… Toi aussi, tu seras un honnête homme, pauvre enfant.