Page:Mirbeau - L’Abbé Jules, éd. 22, Ollendorff.djvu/260

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Mais l’abbé n’avait garde d’y songer, s’étant fait une dédaigneuse loi de ne jamais prononcer le nom de mes parents. Aux délicates allusions des phrases que je devais lui offrir en même temps que les bécasses et les confitures, il répondait en sifflotant un air. Aucune des mises en scène préparées par ma famille ne réussissait.

— Pardon, mon oncle, si j’arrive en retard… C’est que petite mère est bien malade ! disais-je, ne pouvant m’empêcher de rougir.

Alors, il pirouettait sur ses talons, et s’éloignait, les mains derrière le dos. Il semblait que mes parents n’existaient pas pour lui ; il ne leur accordait même plus l’outrageant honneur d’un : « T’z’imbéé… ciles ! »

Malgré les privautés exceptionnelles dont je continuais de jouir aux Capucins, cette obstinée réserve ne laissa pas, à la fin, d’inquiéter grandement ma mère. Elle y vit, non plus de la haine ; elle y vit quelque chose de pire : de l’ironie. Et cette ironie silencieuse d’aujourd’hui l’effraya davantage que la haine tonnante d’autrefois, car elle y devinait l’implacable froideur d’un calcul, mêlé au désir d’une mystification d’outre-tombe. Après le dîner, en attendant la venue des Robin, elle demeurait longtemps méditative, en proie à des réflexions pénibles qui mettaient la crispation d’une souffrance sur son visage plus pâle, son visage de bourgeoise tragique. Sans doute des combats se livraient au fond de son âme, entre son amour maternel et sa cupidité de femme ; des remords, aussi,