Page:Mirbeau - L’Abbé Jules, éd. 22, Ollendorff.djvu/297

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retrouver les volumes très chers et rares que l’abbé lui avait montrés autrefois. Puis il rôdait à travers les pièces ayant l’air d’inventorier les objets, et glissant partout des regards fureteurs.

Mon oncle essuya sa bouche encrassée par la fièvre, but encore une gorgée de tisane, et d’une voix entrecoupée d’efforts douloureux, il commença ainsi :

— Mon cher enfant, j’ai fait mon testament, il y a déjà plusieurs mois… je ne te donne rien, ni à toi ni à ta famille… Ta mère sera furieuse, mais toi, tu es dans l’âge où l’on n’attache aucune importance aux questions d’argent. J’espère que tu ne m’en voudras pas plus tard… M’en voudras-tu ?

— Non, mon oncle ! balbutiai-je, un peu gêné et rougissant.

Il me remercia d’un signe de tête, et il reprit :

— Si je te déshérite, ne va pas en conclure au moins que je ne t’aime pas… Tu auras assez de fortune sans que la mienne vienne encore s’ajouter à celle que te laisseront tes parents… J’avais depuis longtemps une idée qui est curieuse, une expérience de psychologie à tenter que tu connaîtras le lendemain de ma mort… Donc tu ne m’en veux pas !… Bien vrai ?

— Bien vrai, mon oncle, répondis-je.

— Maintenant, écoute-moi. Comme tous ceux qui ont mal vécu, j’ai longtemps redouté la mort… Mais j’ai beaucoup réfléchi depuis, je me suis habitué à la regarder en face, à l’interroger… Elle ne m’effraye plus. La nuit dernière, en sommeillant, j’ai rêvé qu’elle était