Page:Mirbeau - L’Abbé Jules, éd. 22, Ollendorff.djvu/299

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heureux, de travailler, car j’avais de vastes projets. Je n’ai pas pu… Ici comme partout, je me suis retrouvé face à face avec le monstre… J’ai subi d’affreuses tortures… Il est donc bon que je meure… Mais si j’ai vécu dans la hâte mauvaise, dans la fièvres, dans cette perpétuelle disproportion entre les rêves de mon intelligence et les appétits de ma chair, je veux mourir dans la sérénité ; je veux, ne fût-ce qu’un jour, goûter à cette volupté que je n’ai pas connue ; la plénitude du repos de mon cerveau, de mon cœur, de mes sens…

Le malade soupira longuement ; et, broyant d’un geste fébrile le mouchoir qu’il avait dans les mains, il demeura quelques secondes encore, sans dire une parole. Il poursuivit d’un ton plus bref, tandis qu’une grimace tordait sa bouche :

— Je sais où est ta mère. Je le devine du moins. Ta mère est chez le curé. Cela devait être… Elle désire que le curé me voie, qu’il m’apporte ce qu’on appelle les consolations de la religion… Elle le désire non pour moi, dont elle se moque, mais pour elle, pour ton père, pour le renom de piété de la famille… Or, je ne veux pas que le curé mette les pieds chez moi… Je ne le veux pas… Ce qu’il me dirait, je le sais aussi bien que lui… Et la visite de ce gros imbécile m’agacerait, m’irriterait, compromettrait le repos de mes dernières heures… Si Dieu existe, tu penses que ce n’est pas l’image grossière de ce lourdaud, de cet ignorant qu’il revêtira pour se manifester à moi… Si je veux prier, je n’ai besoin de personne… Qu’on me laisse