Page:Mirbeau - L’Abbé Jules, éd. 22, Ollendorff.djvu/301

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faut pas pleurer parce que quelqu’un meurt qu’on a aimé… C’est la religion catholique qui a fait de la mort un sombre épouvantement, tandis qu’elle n’est que la délivrance de l’homme, le retour du prisonnier de la vie à sa véritable patrie, au néant bienfaisant et doux… Ah ! je voudrais qu’au lieu de larmes et de deuils, il n’y eût dans les chambres des mourants que des musiques et que des joies !… Je voudrais… je voudrais…

Il s’arrêta, sembla chercher des mots, des pensées qui lui échappaient…

— Je ne sais plus que je voudrais encore, balbutia-t-il… je ne sais plus… Si je te parle ainsi, c’est que je sens que je suis près de ma fin… il y a des moments où la vie s’égoutte de mes membres, se tarit dans mon cœur, où ma tête se perd, s’embrouille, se confond avec l’espace, où il me semble que je flotte déjà sur le lac immense, le lac qui ne finit pas et qui est sans fond… Avant de partir, avant de disparaître dans les blancheurs radieuses, je voudrais te donner quelque chose qui vaut mieux que de l’argent… le secret du bonheur… J’y ai pensé beaucoup, beaucoup… Aime la nature, mon enfant, et tu seras un brave homme, et tu seras heureux… Toutes les joies terrestres sont en cet amour, toutes les vertus aussi… Ce qui s’écarte de la nature est une perversion et ne laisse que des douleurs inguérissables et des remords salissants… Je voudrais encore autre chose… je voudrais que tu me lises Pascal… va me chercher Pascal… tu le trouveras dans la bibliothèque, sur le troisième