Page:Mirbeau - L’Abbé Jules, éd. 22, Ollendorff.djvu/302

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rayon à gauche, près de la cheminée… c’est un petit livre rouge, à tranches dorées… Va !…

Je revins avec le Pascal, et durant plus d’une heure, je fis la lecture à mon oncle. Il s’endormait parfois ; sa respiration s’accourcissait en plaintes plus faibles et répétées, alors je fermais le livre et me taisais. Mais lui, ne m’entendant plus, se réveillait en sursaut, me regardait comme s’il eût cherché à me reconnaître, à se souvenir. Il murmurait :

— Ah ! oui… c’est toi !… Continue, mon enfant, ta voix me berce… J’écoute ce que tu lis… Les mots, les idées m’arrivent très doux, très vagues, parés de songes délicieux. Ils viennent à moi, ainsi que des êtres féeriques, ils viennent à travers des brumes roses qui flottent sur des mers éblouissantes ; ils m’arrivent en habits chamarrés, en longues traînes de soie, couverts de bijoux et de parfums… Quelle magie que les pensées entrevues dans la fièvre !… Comme elles s’animent, se colorent dans les splendeurs de la mort !… Il faudrait mourir toujours, toujours… Lis, mon enfant… Si je m’assoupis, ne t’arrête pas…

Parfois aussi, tout à coup, l’œil hagard, il m’interrompait :

— Tu sais ce que tu m’as promis !… Le curé… ta mère… Dieu !… Arrête-toi… Cela me fatigue… Les mots maintenant ont d’étranges grimaces ; les pensées passent, noires, disloquées comme des ombres… Et cette trompette qui sonne, sans cesse, là-bas, ah ! qu’elle me fatigue… Fais-la taire, petit, je t’en prie !… Et