Page:Mirbeau - L’Abbé Jules, éd. 22, Ollendorff.djvu/303

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cette cloche, fais taire aussi cette cloche… C’est le curé qui fait ce vacarme… Il bourdonne à mes oreilles pareil à un vol de grands frelons… Chasse-le… Je voudrais dormir…

Quand ma mère rentra, l’abbé était très agité. Il se remuait dans son lit, se découvrait jusqu’au ventre, prononçant souvent des mots incohérents… Ma mère s’étant approchée de lui :

— Ne me dites rien ! s’écria-t-il… Je ne veux pas que le curé vienne… je ne veux pas de son Dieu… je ne veux pas !… Je veux mourir comme je l’entends… Pourquoi me torturez-vous ainsi ?…

Elle ramena les draps sur sa poitrine, lui parla doucement.

— Le curé passait sur la route, mon cher frère, expliqua-t-elle… vous sachant souffrant, il est venu… Il est dans le jardin !…

Mon oncle se dressa sur son séant, très effrayé.

— Non ! non ! répéta-t-il… Je ne veux pas… Laissez-moi mourir tranquille…

Ma mère insista, avec des mots tendres, des caresses dans sa voix, des supplications dans son regard…

— Il ne restera qu’une seule minute, mon frère… une minute, voyons !…

Mais l’abbé poussa un cri de fureur.

— Laissez-moi, vous !… laissez-moi, laissez-moi !…

Et empoignant la main de ma mère, il la mordit au pouce, cruellement.

— Que ne suis-je enragé, vilaine femme ? vociféra-