Page:Mirbeau - L’Abbé Jules, éd. 22, Ollendorff.djvu/314

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Bien que je ne fusse pas entré dans la chambre, durant ces jours abominables, il m’était impossible d’écarter la terrifiante vision de mon oncle Jules, hideux de luxure. Au contraire, elle m’obsédait, se multipliait, s’amplifiait en des images de débauche spectrale. Chaque rugissement, chaque étranglement, chaque convulsion, chaque hoquet que, distinctement, j’entendais à travers le mur, se représentaient physiquement à mon imagination, affectaient des formes visibles et tangibles, des formes de rêve incohérent, des mouvements de vie paradoxale et monstrueuse, dont l’effroi macabre allait se développant. J’aurais voulu m’enfuir, et je ne le pouvais pas. Je restais là, écoutant cette voix qui vomissait, avec les suprêmes souffles de la vie, les blasphèmes et les impuretés ; je restais là, écoutant les révoltes dernières de ce cerveau maudit, les derniers spasmes de ce sexe damné. Et je me rappelais ces déchirantes paroles de mon oncle : « Quelle douceur de s’en aller, ainsi bercé, sur le grand lac de lumière !… » Il y avait des heures où je me croyais mort, où je sentais tomber sur moi les étouffantes ténèbres de l’éternel Châtiment.

Vers la fin de ce deuxième jour, le bruit cessa, la voix se tut. Une heure, peut-être, se passa ainsi, dans le silence. La nuit se fit ; une clarté jaune brilla dans les fentes de la porte. J’étais tout seul. Le cousin Debray s’était enfermé dans la bibliothèque. Mon père sortit, m’appela.

— Va dire adieu à ton oncle, mon enfant, murmura-