Page:Mirbeau - L’Abbé Jules, éd. 22, Ollendorff.djvu/76

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particulier, c’était un besoin grossier et pervers de se divertir en terrorisant les autres. Même, en accomplissant des choses qu’il savait utiles et bonnes, il trouvait toujours le moyen de régaler ses instincts mauvais d’un piquant ragoût de scélératesse. Entre ses conceptions, souvent fortes et justes, et leur réalisation, il y avait un trou, qu’il franchissait d’une grotesque culbute, comme un clown. Ses projets les plus sérieux tournaient en farces amères, ses idées les plus rares avaient une cruelle mystification pour aboutissement. Ses émotions elles-mêmes, ses enthousiasmes, fleurs généreuses et spontanées de son âme, ne tardaient pas à se tordre dans l’insulte d’une grimace, à se flétrir sous la bave d’une colère. Aussi, avec de très brillantes qualités intellectuelles, il n’était rien ; avec une activité incessante, il ne cherchait rien ; avec une énergie qui allait jusqu’à la férocité, il ne voulait rien. Son éloquence, ses passions, ses facultés créatrices, ses sensibilités, ce qui remuait en lui de rêves grandioses et d’aspirations hautaines, autant de forces perdues ; tout cela se consumait dans la fièvre stérile du caprice, dans le délire de ses fantaisies de déclassé. Être à rebours de lui-même, parodiste de sa propre personnalité, il vivait en un perpétuel déséquilibrement de l’esprit et du cœur.

Quelquefois, devant le pauvre évêque, si triste et si bon, qui le regardait de ses doux yeux d’enfant — d’enfant qui a peur d’être battu — il se sentait pour lui une immense pitié. Des remords lui venaient de