Page:Mirbeau - L’Abbé Jules, éd. 22, Ollendorff.djvu/77

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ne pas le traiter plus doucement, de ne pas l’aimer, de profiter lâchement de cette touchante faiblesse de vieillard. Dans l’éclair d’une seconde, il passait d’une mauvaise parole à un acte de contrition exaltée, de la haine à la tendresse ; il entrevoyait mille possibilités de sacrifice et de dévouement ; il aurait voulu, tant il l’aimait en ces courts instants, que son cher évêque devînt aveugle, paralytique, lépreux, qu’il n’eût plus d’abri, plus rien, afin de le guider, de le soutenir, de lécher ses plaies, de le consoler. Et, tout à coup, il se jetait aux pieds du prélat, lui embrassait les mains.

— Je suis une vermine, répétait-il.

— Mais non ! mais non ! ne dites pas cela, mon cher enfant.

— Si ! si… je suis une vermine… une sale vermine… une vermine de pourriture !… Moins que cela encore !… Je suis… Oh ! je suis ce qu’il y a de plus dégoûtant dans la création… Je ne mérite même pas d’habiter la place d’un mendiant !… Pourquoi ne me chassez-vous pas ?… Ne m’écrasez-vous pas ?… Chassez-moi, je vous en prie… chassez-moi, comme un rat, honteusement… car demain, Monseigneur, ce soir, peut-être, je recommencerai à vous haïr, à vous faire souffrir !… L’esprit du mal est en moi ; il me pousse à des choses détestables… Chassez-moi… je suis une vermine !

C’étaient pour l’évêque de délicieux moments que ceux où Jules avait ces accès de repentir. Il s’attendrissait, oubliait tout, s’imaginait, chaque fois, qu’une