Page:Mirbeau - L’Abbé Jules, éd. 22, Ollendorff.djvu/88

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jusque dans l’opacité de l’ombre, jusque dans le symbolisme errant du ciel, où les nuages évoquaient d’impossibles nudités, d’impossibles enlacements, une multitude de figures onaniques et tordues, semblables aux gravures démesurément agrandies d’un livre obscène, qu’il avait eu jadis, au collège. Et, au-dessous de ce ciel pollué, la forêt dressant ses masses confuses, énormes et lointaines, amplifiant ses terrasses, ses colonnades, ses escaliers, ses temples, lui faisait l’effet de quelque architecture formidable, de quelque noire Sodome, bâtie en l’honneur de la Débauche éternelle et triomphale. Une torpeur l’envahissait ; il se sentait un besoin irrésistible de sommeil, éprouvait une sorte de narcotique volupté à se laisser glisser dans le vague, dans l’oubli, dans le néant. Il ne tenta pas de s’arracher à cet engourdissement qu’il préférait au réveil brutal de sa raison. Ah ! s’il avait pu descendre toujours au fond de ce noir, ne jamais remonter ! Et, s’allongeant, sur la terre humide de rosée, comme un vagabond, il s’endormit profondément.

Quand l’abbé rentra dans la ville, il devait être très tard. Tout dormait ; aucune lumière ne luisait entre les volets clos des maisons, et les réverbères, au haut de leur morne potence, étaient depuis longtemps éteints. Près d’une auberge, sous une voiture de marchand forain, un chien grogna. Quoiqu’il eût les membres raidis par l’humidité, il pressa le pas, gagna la petite porte dérobée du jardin, dont il gardait tou-