Page:Mirbeau - La Pipe de cidre.djvu/165

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cette journée historique que des souvenirs confus… Je me rappelle qu’une immense tristesse m’envahit… Tout me paraissait misérable et fou… J’aurais voulu m’enfuir, me cacher, disparaître, tout d’un coup, dans la terre, moi, mon caban et mon tambour… Mais M. Martinot me harcelait ; je l’avais, sans cesse, derrière moi, qui disait :

— Très bien !… Du nerf !… battez plus fort… On n’entend rien !

La pluie détendait la peau de mon tambour qui, sous le mouvement accéléré des baguettes, ne rendait que des sons étouffés, sourds, lugubres.

Je ne vis pas Mgr l’évêque ; je ne vis pas le reliquaire, je ne vis rien, rien qu’une grande foule vague où d’étranges figures se détachaient, passaient et disparaissaient sans cesse. Je n’entendis rien, rien qu’un bourdonnement confus de voix lointaines, de voix souterraines. Je ne voyais que M. Martinot, le crâne rouge de M. Martinot, conduisant la musique, poussant des Druides enchaînés, dirigeant les chœurs de jeunes filles, qui chantaient dans des glapissements cacophoniques :

Au temps jadis, d’horribles dieux…

Et je battais du tambour, machinalement, d’abord, puis avec rage, avec frénésie, emporté