Page:Mirbeau - La Pipe de cidre.djvu/192

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

sentiments dans le cœur des hommes. Et qu’en ferais-je ?

Est-ce la voix du suprême orgueil qui parle en moi, à cette minute ? Tentai-je d’expliquer, d’excuser par de trop subtiles et vaines raisons la retombée de l’ange que j’aurais pu être, à la croupissante, à l’immonde larve que je suis ? Oh ! non ! je n’ai pas d’orgueil, je n’ai plus d’orgueil ! Chaque fois que ce sentiment a voulu pénétrer en moi, je n’ai eu, pour le chasser, qu’à porter les yeux vers le ciel, vers ce gouffre épouvantant de l’infini, où je me sens plus petit, plus inaperçu, plus infinitésimal que la diatomée perdue dans l’eau vaseuse des citernes. Oh ! non, je le jure, je n’ai pas d’orgueil.

Ce que j’ai voulu, c’est, en donnant à ces quelques souvenirs une forme animée et familière, rendre plus sensible une des plus prodigieuses tyrannies, une des plus ravalantes oppressions de la vie – dont je n’ai pas été le seul à souffrir, hélas ! – : l’autorité paternelle. Car tout le monde en a souffert, tout le monde porte en soi, dans les yeux, sur le front, sur la nuque, sur toutes les parties du corps où l’âme se révèle, où l’émotion intérieure afflue en lumières attristées, en déformations spéciales, le signe caractéristique, l’effrayant coup de pouce de cette initiale, de cette ineffaçable éducation de la famille. Et puis, il me semble