Page:Mirbeau - La Pipe de cidre.djvu/228

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Je ne quittai plus la cuisine, aux heures où j’avais chance de ne pas être surpris par mes parents. Et le moment ne tarda pas à venir où, après une courte et molle lutte, après des : « Finissez donc, monsieur Georges ! » timides et langoureux, Mariette se donna à moi, sur une vieille chaise, près de la table, entre un vase de terre où trempaient des morceaux de morue et un poulet qu’elle venait d’éventrer.

VI

Ce fut une révolution complète de mes sentiments, et, par conséquent, de mon existence. À l’inverse de ce que les poètes disent de l’influence « sublimatoire » de l’amour, l’amour tua en moi toute poésie. Je ne vis plus les choses à travers le voile miséricordieux et charmant de l’illusion, et la réalité dégradante m’apparut, qui n’est pas, d’ailleurs, plus réelle que le rêve, puisque ce que nous voyons autour de nous, c’est nous-mêmes, et que les extériorités de la nature ne sont pas autre chose que des états plastiques, en projection, de notre intelligence et de notre sensibilité.

Ce qui causa la déchéance de mon idéal ancien, était-ce le lieu vulgaire où le prodige s’était accompli ? Était-ce l’objet même de ma