Page:Mirbeau - La Pipe de cidre.djvu/62

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taller dans le cabaret, habiter avec la veuve, au vu et au su de tout le monde. Roubieux était un homme très grand, très fort, bâti en hercule. On le redoutait beaucoup, non qu’il eût commis d’une façon certaine aucune action violente, mais rien qu’à considérer sa physionomie farouche, ses yeux fuyants et faux, son dos obstiné d’assassin, on le sentait capable de choses terribles. Cependant, en apparence, il ne faisait rien que de vivre grassement aux dépens de la veuve, ne gênant personne, sachant détourner la tête quand des mains impatientes s’égaraient sous les jupons de sa maîtresse, et s’en aller au moment précis, trouvant chaque fois, avec à propos, une raison déguisée et plausible. Mais ce calme sombre, cette complicité silencieuse ne laissaient pas que de troubler les galants, qui craignaient un réveil de colère et de jalousie. Et les larges épaules du charpentier, ses poings énormes, plus lourds que des marteaux de fonte, son cou puissant, les muscles tendus et souples de ses bras, faits pour les meurtrières étreintes, leur causaient un perpétuel effroi.

Roubieux était très utile à la veuve, et l’intérêt l’unissait à elle autant que l’amour, car ils s’aimaient, en dépit des tromperies, des saletés quotidiennes dont il ne se plaignait jamais, sachant bien que le plaisir n’y comptait