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un feignant, un propre à rien qui n’avait jamais pu réussir en quoi que ce fût, et qui, sans cesse dénué d’argent, criant misère, lui avait été jusqu’à ce jour d’une charge trop lourde.

— Qu’il fasse comme moi, disait Roubieux, qu’il travaille !

Il y avait eu à ce propos, entre les deux hommes, des scènes sauvages, des disputes, des menaces, des batteries. Finalement, le fils Goudet fut chassé de la maison, la rage au cœur. Depuis dix ans, il vivait misérablement, d’un petit métier de revendeur. Jamais ni sa femme, ni lui n’avaient pu fléchir le cœur de la mère. Et voilà, maintenant, que la belle sabotière dénaturait sa fortune, qu’elle mettait l’argent prêté au nom de Roubieux, qu’après leur avoir refusé un seul sou, durant sa vie, elle les déshériterait à sa mort !…

III

La nuit est sombre, sans étoile et sans lune. Aucun bruit dans la campagne, aucun frémissement. Tout à l’heure, très loin, un chien a, dans l’ombre invisible, longtemps aboyé. Puis, de nouveau, le silence. L’air est pesant ; dans les arbres qui bordent la route, pas un souffle ne passe ; sur l’herbe des berges, pas un fris-