Page:Mirbeau - La Pipe de cidre.djvu/71

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Le colonel était de taille haute, bien prise, assez élégante. Il y avait en lui un curieux mélange de nègre et de blanc. Son teint brun, d’un ton mat, ses cheveux très noirs et crépus, son front fuyant, son nez aquilin, ses pommettes saillantes, ses lèvres empâtées, ses yeux doux et vifs composaient une physionomie qui ne manquait ni d’imprévu, ni d’agrément. Sur son habit, de coupe anglaise, brillaient des décorations multicolores ; le plastron de sa chemise était orné de deux gros boutons, faits d’une dent de baleine, délicatement travaillée ; des chaînes de montre se croisaient, s’enchevêtraient sur son gilet ; des bagues chargeaient ses doigts, aussi serrées que les cercles d’un tonneau. De temps en temps on entendait un petit bruit qui sortait de ses lèvres, un bruit doux comme un son de flûte.

— Ri ri ri, lu lu lu, fi fi fi.

Et l’interprète, arrondissant les bras, se levait.

— Messieurs, disait-il, Son Excellence exprime sa satisfaction. Son Excellence est contente.

Bientôt les conversations devinrent très gaies. On racontait des anecdotes polynésiennes ; on débitait des nouvelles à la main, dans le plus pur goût sandwichien. Un membre de la Société de géographie conférenciait sur le sol