Page:Mirbeau - La Vache tachetée.djvu/20

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île… J’aurais bien fait d’apporter mon cache-poussière, et ma lorgnette !…

Des gamins, des femmes nous abordent et nous offrent leurs services, presque timidement, à voix basse, un joli sourire aux lèvres. Aucun empressement d’ailleurs, et pas un cri, pas une bousculade, pas la moindre poursuite. On ne se sent pas enlever ses paquets de vive force, par des mains impérieuses et crochues. Au lieu d’être entourés, heurtés, abasourdis par l’armée glapissante des commissionnaires et des mendiants, ainsi que cela se passe à tous les débarcadères, peu à peu le vide se fait autour de nous. Les bagages déchargés restent là, tout bêtes, sans que personne se présente pour les emporter à la ville. J’examine la route qui débouche du bois sur l’estacade, rien : pas même l’ombre d’un cheval attelé à l’ombre d’une charrette… Quatre ânes, quatre pauvres « cugnots », l’oreille basse, attendent au piquet les excursionnistes fabuleux, sous la garde d’une vieille qui, couchée à plat ventre sur le sable, fume sa pipe, indolente, les yeux fixés, au loin, sur la mer.