Page:Mirbeau - La Vache tachetée.djvu/242

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Et j’ajoutai :

— Qu’a-t-il pu lui arriver, mon Dieu !

Deux soupirs, deux longs soupirs me répondirent. Et Marie me regarda d’un œil encore plus fixe. J’étais calme, je montrais beaucoup d’aisance dans mes manières. Ma voix ne tremblait pas quand, m’adressant à Marie, je lui demandai :

— Et vous, Marie, que pensez-vous ?

En même temps, je plantai mon regard dans le sien, un regard si terrible qu’elle ne put en supporter la violence. Peu à peu, elle baissa les yeux, comme vaincue, et, d’un air confus et troublé, elle se mit à examiner la pièce, autour d’elle. L’établi, couvert de poix, était plein d’outils, le plancher jonché de rognures de cuir. Au mur, en face d’elle, dans un cadre noir, la face impassible et morte du Président Carnot. Je demandai encore :

— Enfin, sait-on où il est allé ?… L’a-t-on vu quelque part ?

Le père laissa un instant son ouvrage, et il dit :

— Il n’avait plus d’osier. Sûr qu’il sera allé à la Fontaine-au-Grand-Pierre !

— Ah ! voilà !

— Il y est allé déjà tant de fois, que ce n’est pas une raison qu’il n’en soit pas revenu.

— Sans doute, expliquai-je ; mais il y a un