Page:Mirbeau - La Vache tachetée.djvu/243

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

grand trou à la Fontaine-au-Grand-Pierre, un trou dont on ne connaît pas le fond. Et puis… c’est certain… il y a aussi des démons.

— Peut-être bien !… fit le père.

— Jésus, mon Dieu ! fit la mère, qui se signa.

— Un démon, tout au moins, fit Marie.

Mais, cette fois, elle n’osa pas lever les yeux sur moi. Les paupières baissées, un peu tremblante, la bouche mi-ouverte, elle considérait ses mains, à plat sur sa robe, des mains très longues, très blanches, mais dont les travaux de couture avaient grossi, au bout, et comme effrité les doigts.

Au dehors, la rue était silencieuse. Il ne passait presque plus personne. Quand un bruit de pas, un bruit quelconque, se faisait entendre, je me levais, j’allais ouvrir la porte, j’écoutais. Et, reprenant ma place :

— Non, ce n’est rien ! C’est un tel qui passe, renseignais-je d’un air découragé.

Et le père reprenait son travail, la mère poussait à nouveau son aiguille, les yeux davantage bridés sous les lunettes. La lumière de la lampe modelait de clartés crues et d’ombres noires leurs deux visages tristes, mais comme sont tristes les visages des bêtes, où nous ne percevons ni joie, ni douleur, où nous ne percevons que l’immense tristesse animale des êtres qui ne comprennent pas.