Page:Mirbeau - Le Calvaire.djvu/129

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bonne éducation, la vie calme, heureuse, sans hâtes mauvaises, sans remords salissant. Son chapeau, son manteau, sa robe, tous ses ajustements étaient d’une élégance délicate, intime, faite pour la joie d’un seul, pour la gaîté d’une maison solidement verrouillée, fermée aux quêteurs de proies impures… Et ses yeux tout emplis de tendresses permises, ses yeux d’où rayonnait tant de candeur, tant d’ingénuité, qui semblaient ignorer le mensonge, ses yeux, plus beaux que des lacs hantés de la lune !… « Charles va bien ?… » avait demandé Lirat… Charles ?… son mari, parbleu !… Et, naïvement, je me faisais l’idée d’un intérieur respectable, avec de jolis enfants jouant sur les tapis, une lampe familiale, groupant autour de sa douce clarté des êtres simples et bons, un lit pudique, protégé par le crucifix et la branche de buis bénit !… Tout à coup, tombant dans cette paix, le cabot des Bouffes, le croupier de cercle, et Charles Malterre qui démolissait le divan de Lirat, à force de s’y rouler en pleurant de rage !… J’évoquai la physionomie du comédien, une face pâle, plissée, glabre, des yeux cyniques, éraillés, des lèvres ignobles, un col très ouvert, une cravate rose, un veston court, aux plis crapuleux… J’étais énervé, irrité… Que m’importait, après tout ?… Est-ce que la vie de cette femme me regardait, m’appartenait ?… Est-ce que j’avais l’habitude de m’attendrir sur la destinée des filles que le hasard jetait sur mon chemin ?… Qu’elle fût ce qu’elle voudrait, Mlle Juliette Roux !… Elle n’était ni ma sœur,