Page:Mirbeau - Le Calvaire.djvu/130

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ni ma fiancée, ni mon amie ; elle ne se rattachait à moi par aucun lien… Aperçue hier, comme une passante de la rue, comme un de ces mille êtres vagues que l’on frôle, chaque jour, et qui s’en vont et qui s’effacent, elle était déjà retournée au grand tourbillon de l’oubli… et, plus jamais, je ne la reverrais… Si Lirat se trompait ?… me disais-je tout en déjeunant… Je connaissais ses exagérations, le besoin qu’il avait d’être méchant, son horreur et son mépris de la femme… Ce qu’il racontait de Juliette, il le racontait de toutes les autres… Oui, peut-être que ce comédien, ce croupier, tous les détails de cette existence infâme, où sa verve amère s’était complue, n’existaient que dans son imagination… Et Charles Malterre ?… Sans doute, j’eusse préféré qu’elle fût mariée ; il m’eût été agréable qu’elle pût s’appuyer au bras d’un homme, librement, respectée, enviée des plus honnêtes !… Mais elle l’aimait, ce Malterre, elle vivait avec lui, décemment, elle lui était dévouée : « Charles sera très chagrin de votre refus. » J’avais encore dans l’oreille la voix presque suppliante avec laquelle elle prononça ces mots… Elle s’inquiétait donc de ce qui pouvait plaire ou déplaire à ce Malterre… Et à la pensée que Lirat, abusant d’une situation fausse, la calomniait odieusement, j’eus le cœur serré, une grande pitié m’envahit, je me surpris à dire tout haut : « Pauvre fille ! »… Cependant, ce Malterre s’était roulé sur le divan, il avait pleuré, il avait fait des confidences à Lirat, montré des lettres… Et puis, après ?… Est-ce