Page:Mirbeau - Le Calvaire.djvu/134

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le fiacre, le cheval et moi-même, tira la langue, puis se rencogna dans sa voiture… Ce n’était pas Juliette !… Je ne rentrai chez moi qu’à la nuit tombée, très désappointé et, pourtant, ravi de mon inutile promenade !

Je n’avais pas de projets pour le soir. Cependant, je m’habillai plus longuement que de coutume. Je mis un soin extrême à ma toilette et, pour la première fois, le nœud de ma cravate me parut une chose grave ; je m’absorbai dans sa confection avec complaisance. Cette révélation soudaine en amena d’autres plus importantes encore. Ainsi, je remarquai que mes chemises étaient mal coupées, que le plastron godait, d’une façon disgracieuse, à l’ouverture du gilet ; que mon habit affectait une forme très ancienne, étrangement démodée. En somme, je me trouvais assez ridicule, et me promis de changer cela dans l’avenir. Sans faire de l’élégance une loi obligée et tyrannique de ma vie, il m’était bien permis d’être comme tout le monde, ce semble. Parce que l’on se mettait bien, on n’était pas forcément un imbécile. Ces préoccupations me conduisirent jusqu’à l’heure du dîner. D’habitude, je mangeais chez moi, mais, ce soir-là, mon appartement, je le jugeai trop petit, trop silencieux, trop morose ; il m’étouffait, et j’avais besoin d’espace, de bruit, de gaîté. Au restaurant, je m’intéressai à tout, au va-et-vient des gens, aux dorures du plafond, aux grandes glaces qui répétaient, jusqu’à l’infini, les salles, les garçons, les