Page:Mirbeau - Le Calvaire.djvu/142

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lysais pas, m’attirait vers elle… Plusieurs fois, j’étais allé dans la rue de Saint-Pétersbourg, avec l’intention bien arrêtée de me présenter chez elle ; mais, au dernier moment, le courage m’avait manqué, et j’étais parti sans avoir pu me décider à franchir la porte de sa maison… Maintenant, j’étais l’homme le plus embarrassé du monde, et regrettais fort ma sottise, car c’était une sottise, évidemment… Comment me recevrait-elle ?… Que lui dirais-je ?… Sans doute, elle m’avait engagé à venir… se souviendrait-elle de moi ?… Ce qui m’inquiétait surtout, c’est que j’avais beau faire appel à mon intelligence, je ne trouvais pas la moindre phrase, pas le moindre mot, pour aborder la conversation, quand Juliette serait là !… Si j’allais rester court, la bouche ouverte, quel ridicule !… J’examinai la pièce où Juliette entrerait tout à l’heure !… Cette pièce était un cabinet de toilette, servant en même temps de salon. L’impression que j’en eus me fut désagréable. La toilette, étalée brutalement, avec ses deux cuvettes de cristal rose craquelé, me choqua. Les murs et le plafond, tendus de satin rouge criard, les meubles en peluche brodée, les portières compliquées, des bibelots très chers et très laids, posés çà et là sur les meubles ; des tables bizarres, sans destination, des consoles chargées de lourds ornements, tout cela disait un goût vulgaire. Je remarquai, occupant le milieu de la cheminée, entre deux massifs vases d’onyx, un Amour, en terre cuite, qui bombait la poitrine, souriait avec une moue spirituelle, et offrait une fleur, du