Page:Mirbeau - Le Calvaire.djvu/143

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bout de ses doigts écartés. Chaque détail révélait, ici, l’amour du luxe cher et grossier, là, une tendance regrettable à la romance, à l’attendrissement bébête. C’était à la fois navrant et sentimental. Pourtant, et ce me fut une satisfaction, je ne rencontrais pas le disparate, le fugitif, le heurté des appartements de filles, ces appartements où l’on sent l’existence hagarde, où l’on peut, au nombre des bibelots entassés, compter le nombre des amants qui ont passé là, amants d’une heure, d’une nuit, d’une année ; où chaque siège vous crie une impudeur et une trahison ; où l’on voit sur une vitrine l’agonie d’une fortune, sur un marbre les traces encore chaudes d’une larme, sur un lustre des gouttes encore chaudes de sang… La porte s’ouvrit, et Juliette, toute blanche, dans une robe longue et flottante, apparut… Je tremblais… le rouge me montait à la figure ; mais elle me reconnut, et, souriant de ce sourire qu’enfin je retrouvais, elle me tendit la main :

— Ah ! monsieur Mintié ! dit-elle… que c’est gentil à vous de ne m’avoir pas oubliée !… Y a-t-il longtemps que vous avez vu cet original de Lirat ?

— Mais oui, Madame ; pas depuis le jour où j’ai eu l’honneur de vous rencontrer chez lui…

— Ah ! mon Dieu, je croyais que vous ne vous quittiez jamais !…

— Il est vrai, répondis-je, que je le vois beaucoup… mais j’ai travaillé tous ces jours-ci.

Ayant cru remarquer, dans le ton de sa voix,