Page:Mirbeau - Le Calvaire.djvu/188

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pas… au contraire, ils me plaisent beaucoup… Invite-les, tous les deux… Et j’irai prendre une loge au Vaudeville.

— Non !

— Je t’en conjure !

Sa voix se radoucit. Elle ferma le livre.

— Eh bien ! nous verrons demain.

Sincèrement, à cette minute, j’aimais Gabrielle, Jesselin, Célestine… Je crois même que j’aimais Malterre.

Je ne travaillais plus. Non que l’amour du travail m’eût abandonné, mais je n’avais plus la faculté créatrice. Tous les jours je m’asseyais, à mon bureau, devant du papier blanc, cherchant des idées, n’en trouvant pas, et retombant fatalement dans les inquiétudes du présent, qui était Juliette, dans les effrois de l’avenir qui était Juliette encore !… De même qu’un ivrogne presse la bouteille tarie pour en exprimer une dernière goutte de liqueur, de même je pressais mon cerveau dans l’espoir d’en faire gicler des gouttes d’idées !… Hélas ! mon cerveau était vide !… Il était vide, et il me pesait sur les épaules, autant qu’une boule énorme de plomb !… Mon intelligence avait toujours été lente à s’ébranler ; il lui fallait l’excitation, le cinglement du coup de fouet. En raison de ma sensibilité mal réglée, de ma passivité, je subissais facilement des influences intellectuelles et morales, bonnes ou mauvaises. Aussi l’amitié de Lirat m’était-elle très utile, autrefois. Mes idées se dégelaient à la