Page:Mirbeau - Le Calvaire.djvu/217

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gereux récifs, vers quelles profondeurs plus noires, elles m’entraîneraient. Je conservais aussi cet espoir absurde du condamné à mort qui, jusque sur la sanglante plate-forme, jusque sous le couteau, attend un événement impossible, une révolution instantanée, une catastrophe planétaire, qui le délivreront de la mort. Je me laissai bercer par le joli ronron des paroles de Juliette !… Des résolutions de travail héroïque me venaient à l’esprit, me jetaient dans des enthousiasmes désordonnés… J’entrevoyais des foules haletantes, penchées sur mes livres ; des théâtres où des messieurs graves et maquillés s’avançaient, lançant mon nom aux admirations frénétiques du public. Vaincu par la fatigue, brisé par l’émotion, je m’endormis…


Nous finissons de dîner… Juliette a été plus tendre encore qu’au moment de mon retour. Pourtant, je vois en elle une inquiétude, une préoccupation. Elle est triste et gaie, tout à la fois : qu’y a-t-il donc derrière ce front où des nuages passent ? Malgré ses protestations, est-elle décidée à me quitter, et veut-elle rendre moins pénible notre séparation, en me prodiguant tous les trésors de ses caresses ?…

— Que c’est donc ennuyeux, mon chéri ! dit-elle… Il faut que je sorte.

— Comment, il faut que tu sortes ?… Maintenant ?

— Mais oui, figure-toi… Cette pauvre Gabrielle est très malade… Elle est seule… j’ai promis d’aller la