Page:Mirbeau - Le Calvaire.djvu/220

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Et me voilà dans la rue, moi aussi… Un fiacre passe.

— 114, rue de Sèze !

Ah ! ma résolution a été vite prise… J’ai réfléchi que j’avais le temps d’arriver avant elle… Elle a bien compris que je n’étais pas dupe de la maladie de Gabrielle… Ma tristesse, mon insistance lui ont sans doute inspiré la crainte d’être espionnée, suivie, et vraisemblablement, elle ne se sera pas dirigée, tout droit, là-bas… Mais pourquoi cette abominable pensée est-elle tombée sur moi, tout à coup, comme la foudre ?… Pourquoi cela, et pas autre chose ? J’espère encore que mes pressentiments m’ont trompé, que Mme Rabineau « ce n’est rien », que Gabrielle est malade…

Une sorte de petit hôtel étranglé entre deux hautes maisons ; une porte étroite, creusée dans le mur, au-dessus de trois marches ; une façade sombre, dont les fenêtres closes ne laissent filtrer aucune lumière… C’est là !… C’est là qu’elle va venir, qu’elle est venue peut-être !… Et des rages me poussent vers cette porte, je voudrais mettre le feu à cette maison ; je voudrais, dans une flambée infernale, faire hurler et se tordre toutes les chairs damnées qui sont là… Tout à l’heure, une femme, les mains dans les poches de sa jaquette claire, les coudes écartés, est entrée en chantant et se dandinant… Pourquoi ne lui ai-je pas craché à la figure ?… Un vieillard est descendu de son coupé… Il a passé près de moi, s’ébrouant, soufflant, soutenu aux aisselles par son valet de chambre… Ses jambes tremblantes ne pouvaient le porter ; entre ses