Page:Mirbeau - Le Calvaire.djvu/231

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un artiste, vous possédez ce don divin de voir, de comprendre, de sentir ce que les autres ne voient, ne comprennent et ne sentent !… Il y a, dans la nature, des musiques qui ne sont faites que pour vous et que les autres n’entendront jamais… Les seules joies de la vie, les nobles, les grandes, les pures, celles qui vous consolent des hommes et vous rendent presque pareils à Dieu, vous les avez toutes… Et, parce qu’une femme vous a trompé, vous allez renoncer à tout cela ?… Elle vous a trompé ; c’est évident qu’elle vous a trompé… Qu’est-ce que vous voulez qu’elle fasse ?… Et vous, qu’est-ce que cela peut bien vous faire ?

— Ne raillez point, je vous en prie !… Vous ne savez rien, Lirat… Vous ne soupçonnez rien… Je suis perdu, déshonoré !

— Déshonoré, mon ami ?… En êtes-vous sûr ?… Vous avez de sales dettes ?… Vous les paierez !

— Il ne s’agit pas de cela !… Je suis déshonoré ! déshonoré, comprenez-vous ?… Tenez, il y a quatre mois que je n’ai donné d’argent à Juliette… quatre mois !… Et je vis ici, j’y mange, j’y suis entretenu !… Tous les soirs… avant le dîner… tard… Juliette rentre… Elle est rompue, pâle, dépeignée… De quels bouges, de quelles alcôves, de quels bras sort-elle ? Sur quels oreillers sa tête s’est-elle roulée !… Quelquefois, je vois des raclures de drap danser, effrontées, à la pointe de ses cheveux… Elle ne se gêne plus, ne prend même plus la peine de mentir… on dirait que c’est affaire