Page:Mirbeau - Le Calvaire.djvu/285

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cœurs, une fleur, une toute petite fleur dont il eût été si bon de respirer le parfum, je ne la trouvais pas… Et cependant, je ne concevais rien sans Juliette. Toutes mes pensées avaient Juliette pour point de départ, Juliette pour aboutissement ; et plus elle m’échappait, plus je m’acharnais dans l’idée absurde de la reconquérir. Je n’espérais pas, emportée, comme elle l’était, dans cette existence de plaisirs mauvais, qu’elle s’arrêtât jamais ; pourtant, malgré moi, malgré elle, je formais des projets d’avenir meilleur. Je me disais : « Il n’est pas possible qu’un jour le dégoût ne la prenne, qu’un jour la douleur n’éveille en son âme un remords, une pitié ; et elle me reviendra. Alors, nous nous en irons dans un appartement d’ouvrier, et moi, comme un forçat, je travaillerai… J’entrerai dans le journalisme, je publierai des romans, j’implorerai des besognes de copiste… » Hélas ! je m’efforçais de croire à tout cela, afin d’atténuer l’état d’abjection où j’étais descendu. Avec le produit de la vente des deux études de Lirat, des quelques bijoux que je possédais, de mes livres, j’avais réalisé une somme de quatre mille francs que je gardais précieusement, pour cette chimérique éventualité… Une fois que Juliette était songeuse et plus tendre qu’à l’ordinaire, j’osai lui communiquer ce projet admirable… Elle battit des mains.

— Oui ! oui !… Ah ! ce serait si amusant !… Un tout petit appartement, tout petit, tout petit !… Je ferais le ménage, j’aurais de jolis bonnets, un joli tablier !…