Page:Mirbeau - Le Calvaire.djvu/286

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Mais c’est impossible avec toi ! Quel dommage !… C’est impossible !

— Pourquoi donc est-ce impossible ?

— Mais parce que tu ne travailleras pas, et que nous mourrons de faim… C’est ta nature, comme ça !… As-tu travaillé au Ploc’h !… Travailleras-tu maintenant ?… Jamais tu n’as travaillé !…

— Le puis-je ?… Tu ne sais donc pas que ta pensée ne me quitte pas un seul instant ?… C’est tout l’inconnu de ta vie, c’est la douleur atroce de ce que je sens, de ce que je devine de toi, qui me ronge, qui me dévore, qui me vide les moelles !… Quand tu n’es pas là, j’ignore où tu es, et pourtant je suis là, où tu es, toujours !… Ah ! si tu voulais !… Te savoir près de moi, aimante et tranquille, loin de ce qui salit et de ce qui torture… Mais j’aurais la force d’un Dieu !… De l’argent !… De l’argent ! mais je t’en gagnerais par pelletées, par tombereaux !… Ah ! Juliette, si tu voulais ! si tu voulais !…

Elle me regardait, excitée par ce grand bruit d’or que mes paroles faisaient tinter à ses oreilles.

— Eh bien, gagnes-en tout de suite, mon chéri… Oui, beaucoup, des tas !… Et ne pense pas à ces vilaines choses qui te font du mal… Les hommes, est-ce drôle !… Ça ne veut pas comprendre !

Tendrement, elle s’assit sur mes genoux.

— Puisque je t’adore, mon cher mignon !… Puisque les autres, je les déteste, et qu’ils n’ont rien de moi, tu entends, rien… Puisque je suis bien malheureuse !…