Page:Mirbeau - Le Calvaire.djvu/55

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dans les mains. Une chandelle, qui brûlait dans un chandelier de fer, éclairait la moitié de son visage, creusé, raviné par des rides profondes.

— Nous donneras-tu du bois, enfin ? cria le sergent.

— J’ons point d’bouè, répondit le vieillard… V’la huit jours qu’la troupe passe, j’vous dis… M’ont tout pris.

Il se tassa sur sa chaise et, d’une voix faible, il murmura :

— J’ons ren… ren… ren !…

Le sergent haussa les épaules :

— Ne fais donc pas le malin, vieille canaille… Ah ! tu caches ton bois pour chauffer les Prussiens ! Eh bien, je vais t’en fiche, moi, des Prussiens… attends !

Le vieillard branla la tête.

— Pisque j’ons point d’bouè…

D’un geste colère, le sergent commanda aux hommes de fouiller la maison. Du cellier au grenier, ils passèrent tout en revue. Il n’y avait rien, rien que des traces de violence, des meubles brisés. Dans le cellier, humide de cidre répandu, les tonneaux étaient défoncés, et partout s’étalaient de hideuses et puantes ordures. Cela exaspéra le sergent, qui frappa le carreau de la crosse de son fusil.

— Allons, s’écria-t-il, allons, vieux salaud, dis-nous où est ton bois ?

Et il secoua rudement le vieillard, qui chancela et faillit tomber la tête contre le landier de fer de la cheminée.