Page:Mirbeau - Le Calvaire.djvu/56

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— J’ons point d’bouè, répéta simplement le pauvre homme.

— Ah ! tu t’entêtes !… Ah ! tu n’as point de bois !… Eh bien, tu as des chaises, un buffet, une table, un lit… si tu ne me dis pas où est ton bois, je fais une flambée de tout ça.

Le vieillard ne protesta pas. Il répéta de nouveau, hochant sa vieille tête blanche :

— J’ons point d’bouè.

Je voulus m’interposer, et balbutiai quelques mots ; mais le sergent ne me laissa pas achever, il m’enveloppa des pieds à la tête d’un regard méprisant.

— Et qu’est-ce tu fous ici, toi, espèce de galopin ? me dit-il… qu’est-ce qui t’a permis de quitter les rangs, sale morveux !… allons, demi-tour, et au pas de gymnastique !… Ta ra ta ta ra, ta ta ra !…

Alors, il donna un ordre. En quelques minutes, chaises, table, buffet, lit, furent mis en pièces. Le bonhomme se leva avec effort, se rencogna dans le fond de la chambre et pendant que flambait le feu, pendant que le sergent, dont la capote et le pantalon fumaient, se chauffait en riant devant le brasier crépitant, le vieux regardait brûler ses derniers meubles, d’un œil stoïque, et ne cessait de répéter avec obstination.

— J’ons point d’bouè !

Je regagnai la gare.

Le général était sorti du bureau du télégraphe, plus animé, plus rouge, plus colère que jamais. Il bre-