Page:Mirbeau - Le Calvaire.djvu/62

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— Ma pharmacie, nom de Dieu ! criait-il. Où est ma pharmacie ? Et ma trousse ?… Qu’est-ce que j’ai fait de ma trousse ?… Ah ! nom de Dieu !

Un petit mobile, qui souffrait d’un abcès au genou, s’en retourna à cloche-pied, pleurant, s’arrachant les cheveux de désespoir. On n’avait pas voulu le visiter. Quand ce fut mon tour de passer, je tremblais très fort. Dans le fond de la pièce, sombre, quatre malades râlaient, couchés sur la paille, en chien de fusil, un cinquième gesticulait, prononçant, dans le délire, des mots incohérents ; un autre encore, à demi levé, la tête inclinée sur la poitrine, se plaignait et demandait à boire d’une voix faible, d’une voix d’enfant. Accroupi devant la cheminée, un infirmier présentait à la flamme, au bout d’une baguette de bois, un morceau de boudin grésillant, dont l’odeur de graisse brûlée empuantissait la chambre… L’aide-major ne me regarda même pas. Il vociféra :

— Qu’est-ce que c’est encore que celui-là ?… Tas de flemmards !… Dix lieues dans les guibolles, clampin, ça te remettra… Allons, arche ! demi-tour.

Je croisai sur le seuil une paysanne, qui me demanda :

— C’est-y ben icite qu’est l’sérûgien ?

— Des femmes, maintenant ! grogna l’aide-major… Qu’est-ce que vous voulez, vous ?

— Pardon, excuse, mossieu l’sérûgien, reprit la paysanne, qui s’avança, très intimidée. J’viens pour mon fi qu’est soldat.