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Page:Mirbeau - Le Calvaire.djvu/63

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— Dites donc, la vieille, est-ce que je suis chargé de garder votre fils, moi ?…

Les deux mains croisées sur le manche de son parapluie, toute craintive, elle examina la pièce, autour d’elle.

— Paraît qu’il est ben malade, mon fi, ben, ben malade… Pour lors, j’venais vouêr si vous l’aviez point à quant à vous, mossieu l’sérûgien.

— Comment vous appelez-vous ?

— J’m’appelle la femme Riboulleau.

— Riboulleau… Riboulleau !… C’est possible… Voyez dans le tas, là.

L’infirmier, qui faisait griller son boudin, tourna la tête.

— Riboulleau ?… dit-il. Mais il est mort, il y a trois jours…

— Comment qu’vous dites ça ? cria la paysanne, dont la figure hâlée, tout à coup pâlit… Où ça qu’il est mô ?… Pourquoi qu’il est mô, mon p’tit gâs ?…

L’aide-major intervint, et poussant la vieille vers la porte, d’un geste brutal…

— Allons, cria-t-il, allons, pas de scène ici, hein ?… Il est mort, eh bien, voilà tout…

— Mon p’tit gâs ! mon p’tit gâs ! gémissait la paysanne à fendre l’âme !

Je m’éloignai, le cœur gros, et si découragé que je me demandais s’il ne valait pas mieux en finir tout de suite, en me pendant à une branche d’arbre ou en me faisant sauter la cervelle d’un coup de fusil. Tandis